Monsieur Edgar a 10 ans

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Le 4 novembre 1999, sous la menace du bug de l’an 2000, et avec Mélanie Baillairgé, ma blonde à l’époque, 6 mois enceinte, on lançait officiellement une compagnie qui s’appelait Monsieur Edgar, Atelier de communications visuelles inc. On était jeunes et téméraires, on n’avait absolument pas peur de l’effort extrême, du dépassement, du risque plus ou moins calculé, ni de mettre sa main dans le blender pour ramasser la cuiller.

Mon expression préférée était «I’ll sleep when I’m dead».

On voulait changer le monde, ou au moins celui qui nous entourait. On était à l’aube, vraiment, de ce machin qu’on appelle l’Internet. On faisait du Flash 3. Ma mère n’avait pas d’adresse email. Personne n’avait ça, un Blog. Une téléconférence avec vidéo était encore un truc de films de science-fiction.

On est débarqués sur le terrain comme un cheveu sur la soupe, avec un nom totalement saugrenu, une offre d’affaires encore mal comprise par notre future clientèle. On voulait casser la baraque, brasser la cage, shifter le paradigme, qui était une expression à la mode à cette époque.

On inventait à peine le web 1.0. On était inspirés. On avait le vent dans le dos. On pensait qu’en faisant, le reste allait suivre tout seul.

On a activement participé à des projets fous, comme Epsilonlab, qui a laissé sa marque indélébile sur le paysage des nuits de Montréal. Ou encore PaperJam, qui a aussi fait des petits. Madame Edgar a su ouvrir des portes là où il n’y avait même pas encore de murs. On a défriché et le terreau s’est avéré fertile. Mais nous on était déjà rendus à notre prochaine aventure.

On a, je le crois humblement, contribué à inspirer le génération suivante, les travailleurs autonomes mobiles avec laptop, les équipes ad hoc. J’ai toujours pensé que le travail et le loisir n’avaient pas besoin d’être séparés, que si on n’était pas heureux dans une job, il fallait en changer. La vie est trop courte pour se faire chier avec un patron, et la peur est le pire des guides. Dieu sait combien de personnes j’ai personnellement encouragées à lâcher leur job poche et se lancer dans l’aventure de l’autonomie. La plupart s’en tirent très bien aujourd’hui. Plusieurs entreprises œuvrent aujourd’hui sous un nom «personnifié», je pense à Alfred, à Bob, à Sid. Plusieurs aussi entretiennent un laboratoire interne de création, hors clients, qui n’aurait pas nécessairement vu le jour si on n’avait prouvé que c’était possible. J’aime croire qu’on a su donner l’exemple, et inspirer la suite.

Aujourd’hui, en ce dixième anniversaire, je constate que oui, on a changé la manière de faire. On a gagné des prix. On a prouvé qu’on pouvait rejoindre un vaste public avec, n’en déplaise à ses détracteurs de l’époque — et d’aujourd’hui — une technologie où il fallait downloader un plugin, un effort que bien des clients n’étaient pas prêts à demander à leur auditoire. On a prouvé qu’il était envisageable de naviguer à contre-courant et de scorer. On a forcé, ça a craqué, mais ça a passé.

On a donné sans compter, et on a reçu aussi beaucoup. Pour d’autres ce serait un cliché, un lieu commun, une phrase creuse de discours, mais nous, on le vivait au quotidien. La générosité était notre modèle d’affaires.

Des erreurs ? des conneries ? on en a fait (genre, TELLEMENT). Ça a fini par nous coûter la santé, la compagnie, et notre couple. Aujourd’hui M. Edgar a rétréci, comme peau de chagrin, jusqu’à n’être plus qu’un point sur un timeline, un item dans une liste, une page dans un annuaire. Je continue à facturer à ce nom, mais dans la réalité c’est devenu l’affaire d’une table, une chaise, un laptop et quelques souvenirs.

Je dis ON depuis le début, car si j’étais le premier à tourner la clé et partir le moteur, je ne serais pas allé bien loin sans l’apport — je dirais légendaire — de tous ceux qui ont bien voulu croire en nous, et nous suivre dans cette folle aventure :

(dans une ordre désordonné)

David Leclerc
Stéphane Poirier
Christophe Gaon
Chantale Grenon
Patrick McConnell
Richard Paquet
Frédéric Gauthier
Antoine Caillet
Nathalie Westphal
Mariève Thiffault
Éric Noël
Matyas Gabor
Éric Poirier
Patricia Racine
Perre Deschênes
Jean Duval
Update:
quelques noms qui me reviennent:
Jennifer Varvaresso
Katherine-Élizabeth Ménard

À tous ceux qui ont travaillé avec nous en tant que pigistes, sur nos projets fous, je ne vous ferai pas l’affront de vous oublier dans une liste qui ne pourrait pas être exhaustive. Mais je pense à vous aussi. Vous avez contribué à poser quelques pierres sur cet édifice. Sans vous tout ça n’aurait pas pu exister.

À nos clients, ceux avec qui on a gagné des prix, ceux à qui on a apporté des solutions, ceux à qui on n’a su apporter qu’un paquet de problèmes, je vous dis merci. Merci de nous avoir fait confiance, et, encore une fois, désolé de n’avoir pu faire que ce dont nous étions capables. Faut dire qu’on a toujours eu les yeux plus gros que le ventre. Des fois ça a marché, et des fois… pas.

Aujourd’hui, dix ans plus tard, c’est pour moi le temps des bilans. Quelques cheveux gris, quelques rides, quelques scratches sur mes lunettes. Une pile de meubles IKEA, un placard plein de boîtes de comptabilité. Full dettes. Et le sentiment d’avoir, malgré tout, et à ma manière, accompli quelque chose, laissé ma marque, changé, finalement, le monde. Des regrets ? Zéro regrets.

Fuck les regrets.

Dix ans plus tard, dix ans d’efforts, je suis fatigué mais serein, confiant que la vie est encore bien longue devant moi. C’est à peine le premier tome de l’histoire.

Demain matin je commence à écrire le tome 2. Je vous aime.

5 Responses to “Monsieur Edgar a 10 ans”

  1. Je me rappelle d’avoir admiré le travail de M. Edgar. C’est vrai qu’à un moment vous étiez une référence incontournable du web à Montréal. 10 ans déjà… Le temps passe et c’est pour une bonne cause, car avec le temps, le monde change. Pour le mieux, j’espère.

  2. À mon arrivée sur le marché du travail (dans les alentours du bug), c’était la place où j’aurais aimé travailler. Il m’arrivait de mettre le site d’Epsilonlab (le jaune avec le gars pixel qui danse) sur on écran juste pour écouter et regarder une animation en boucle. M. Edgar était la boîte que j’aimais mettre en lien sur tangente. Tiens, je vais faire un autre lien maintenant.

    Bonne fête Monsieur Edgar! Vous pouvez être fiers!

  3. Marie-Claude

    Je suis designer graphique. J’ai gradué à l’UQAM et j’ai, moi aussi démarré une entreprise avec mon conjoint. Notre couple a survécu, mais notre révolution Web a tardé à venir. Je suis toujours travailleuse autonome et mon conjoint a changé de domaine même s’il adore toujours programmer… Après des années de doute, le Web 2.0 me donne un nouvel élan (enfin!) J’ai été très touchée par votre texte parce que je me sens un peu comme cela.

    Au diable les regrets! je suis fatiguée et sereine, confiante en la vie et malgré les cernes, les rides et les cheveux blancs, j’adore toujours mon métier! Je vous souhaite un beau TOME 2.

  4. Moustache Académie, la web cam sur les scène du bureau, les ballons rouges de l’anniversaire, le quicktime VR vu de l’intérieur, les puces, le ventilateur, le cube déroulant d’epsilonlab qui est rendu au coin droit des écrans de radio-canada, les tounes de sloche.com, les liens sur tangente, les sites casse-tête de Evil-pupil, les copies, les paperjams, les Taches tenaces, le déménagement sur St-Hubert, le bébé, les edgariens. L’argent. L’absence d’argent. L’amour. Les cris. Les pleurs. La beuverie. La famille.

  5. Matyas

    Je pensais à Monsieur justement cette semaine et rêvais de cette énergie créatrice qui peignait chaque cm2 du studio. Je pense et essaye toujours de garder cette naïveté et cette force que nous avions. Je vous remercie Monsieur de m’avoir donné la chance de vivre cette très belle aventure. Elle fera partie pour toujours de ce qui conduit mes valeurs professionnelles.

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